Le 27 octobre 1999, une tragédie frappe l’Arménie : une fusillade éclate dans l’enceinte du Parlement à Erevan. Le Premier ministre, Vazgen Sargsyan, ainsi que sept autres personnalités politiques, sont froidement abattus par un commando armé. L’un des mobiles avancés pour expliquer cet acte réside dans l’opposition à de possibles compromis sur la région du Haut-Karabagh, que certains leaders politiques envisageaient avec la Turquie et l’Azerbaïdjan. Dit autrement, ce commando aurait agi dans un élan de défense du territoire, considéré comme un symbole de fierté nationale et de l’identité arménienne. À travers cet acte extrême, les patriotes arméniens et karabakhis voulaient signifier leur refus catégorique de céder ne serait-ce qu’un centimètre de ce territoire.
En comparaison, la situation du Gabon face à l’enjeu de M’Banié interpelle. En effet, bien que le pays soit confronté à une cause quasi existentielle, à savoir le litige autour de l’île M’Banié, il ne semble y avoir, pour l’instant, ni sursaut patriotique significatif, ni véritable conscience de la gravité du moment.
Pourtant, si l’on observe la situation de la République Démocratique du Congo, on constate qu’un pays peut s’effondrer sous les coups répétés de ses voisins, malgré des liens culturels, historiques et identitaires. La leçon est claire : les affinités ne garantissent pas la sécurité.
M’Banié n’est pas un simple îlot : c’est un enjeu identitaire, territorial, sécuritaire, stratégique et économique de premier plan pour le Gabon.
Premièrement, du point de vue identitaire et territorial, le Gabon exerce sa souveraineté sur l’île depuis 1963, sous la présidence de Léon M’ba. En 1972, cette présence s’est consolidée avec l’opération Vautour lancée par le président Omar Bongo. Cette occupation effective est un fait indéniable.
Deuxièmement, du point de vue sécuritaire et stratégique, M’Banié est située dans l’Estuaire, à seulement 6 à 8 km du continent. De ce fait, elle constitue une sorte de bouclier naturel pour le Gabon. Elle représente bien plus qu’une zone limitrophe : elle est le Gabon lui-même.
Troisièmement, l’île possède un potentiel pétrolier, halieutique et touristique qui renforce son importance. La perte de M’Banié — ainsi que des îles Conga et Cocotiers — reviendrait à amputer le pays d’une partie essentielle de son territoire et de sa richesse. Cela mettrait également en péril la Stratégie Maritime Intégrée du Gabon (SMIG), élaborée en 2013, affaiblissant ainsi la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale et les perspectives de développement.
Malheureusement, cette question cruciale est traitée avec une légèreté déconcertante, comme en témoigne le discours du Ministre gabonais des Affaires étrangères devant le Sénat. Ce dernier, loin d’afficher un patriotisme déterminé, a semblé minimiser la portée de la décision de la Cour Internationale de Justice (CIJ), tout en louant la position des autorités de Malabo, allant jusqu’à donner l’impression d’un médiateur plus que d’un représentant national.
De surcroît, les comparaisons hasardeuses faites par ce même ministre avec le cas de Bakassi sont inexactes. En effet, après la décision de la CIJ du 10 octobre 2002 en faveur du Cameroun, la situation sur le terrain s’est compliquée. Les populations locales ont refusé de se reconnaître comme camerounaises, donnant naissance aux « Bakassi Freedom Fighters ». En 2008, ces derniers ont pris en otage un équipage français pour réclamer l’indépendance de Bakassi. Pire encore, le Sénat nigérian, en 2007, a rejeté la validité de l’accord de Greentree. Cela démontre que la souveraineté n’est pas simplement une affaire de traités, mais aussi de volontés populaires, de légitimité et d’effectivité.
Dans ce contexte, il est clair que le cas Bakassi ne peut servir d’argument pour justifier l’attitude tiède du gouvernement gabonais dans le dossier M’Banié.
Le Gabon n’a pas perdu M’Banié Conga et Cocotiers.
En réalité, la décision de la CIJ n’officialise nullement la perte des îles. D’une part, la Cour n’a pas tranché sur la souveraineté elle-même, mais seulement sur la validité des titres juridiques opposés : la Convention de Bata de 1974 contre le Traité de Paris de 1900. D’autre part, la juge ad hoc Pinto, dans son opinion dissidente, a souligné que la Convention de Bata pourrait tout à fait servir de base à une future solution négociée. Elle critique par ailleurs le raisonnement de la majorité, estimant qu’il repose sur des appréciations subjectives et contestables. Elle ajoute que, la Guinée équatoriale ne conteste pas la lettre par laquelle la copie de la convention a été envoyée à la France en 1974.
De plus, l’un des principes fondamentaux du droit international reste celui de l’effectivité : une souveraineté de fait, exercée de manière continue et pacifique. Or, depuis 1972, le Gabon administre et occupe M’Banié. Ce précédent a d’ailleurs été reconnu par la CIJ dans d’autres affaires, comme celle opposant le Nicaragua à la Colombie.
En fait, ,dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), la Cour Internationale de Justice a reconnu que l’effectivité peut primer sur des titres historiques si elle est prolongée et pacifique. Or, l’occupation de M’banie par le Gabon est non seulement prolongée, donc actuelle mais elle est surtout pacifique et s’est faite sans effusion de sang.
Face à cette réalité, le gouvernement gabonais doit adopter une posture ferme et responsable. Il est impératif de sortir de cette attitude passive et de reconnaître que le Gabon est toujours en position de force dans ce dossier. Aucun retrait des forces militaires stationnées sur M’Banié ne doit être envisagé. Il ne saurait non plus être question de forces conjointes ou d’administration mixte avec la Guinée équatoriale. Il va sans dire que les négociations interviendront mais uniquement, pour ce qui est de la partie gabonaise, dans les termes choisis par le peuple et ses représentants.
Un référendum sur la question M’Banié?
Une consultation populaire — voire un référendum — sur la question des îles M’Banié, Conga et Cocotiers pourrait constituer une voie légitime d’expression nationale.
Par ailleurs, la visite du chef de l’exécutif à Malabo, prévue pour durer 48 heures, du 4 au 6 juin prochain, semble inopportune. Ce dernier aurait dû se rendre à M’Banié pour exprimer sa solidarité avec les forces armées/gendarmerie plutôt que de se rapprocher d’un pays avec lequel le Gabon est en litige territorial.
L’exigence d’une administration véritablement gabonaise.
En outre, une introspection s’impose au sein même de l’appareil d’État. Certaines personnalités occupant des fonctions stratégiques au sein du gouvernement et/ou des institutions ont été accusées de ne pas dire la vérité sur leurs origines et identité. De ce fait, ces personnes ne devraient pas avoir voix au chapitre sur les affaires du Gabon. Ces individus doivent soit démissionner, soit être jugés pour haute trahison, car il s’agit du présent et du futur de ce qu’il y a de plus cher, la Nation. Les services de renseignement et l’armée doivent veiller à la préservation de l’intégrité de l’État.
Enfin, le rapprochement diplomatique avec la Guinée Equatoriale, dans le contexte actuel, pose question. Ce pays semble vouloir étendre sa profondeur stratégique, voire instaurer un modèle de domination culturelle et politique mono-ethnique. Ce projet se manifeste par des influences dans les élections gabonaises, des projets d’interconnexion énergétique, ou encore des accords de sécurité culturelle aux relents identitaires.
Or, comme le rappelle la célèbre maxime, les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Il est donc dangereux, voire irresponsable, de fonder notre diplomatie sur une hypothétique bonne foi de nos voisins.
Que retenir?
En conclusion, l’affaire M’Banié est un test de souveraineté pour le Gabon. Si ses dirigeants ne comprennent pas cela, c’est qu’ils ne sont pas aptes à garantir l’avenir de notre nation. Le temps n’est plus aux hésitations, mais à la fermeté, à la vigilance.
Auteur : Whylton Le Blond Ngouedi Marocko, Docteur en Droit Public Comparé et International (Université Rome I La Sapienza). Diplomé en Relations Internationales, Paix, Guerre et Sécurité (Université de Rome 3).
Diplômé en Sciences Politiques (Université Naples Federico II).
Auteur de : ‘’ Le Gabon que nous voulons. En avant vers le socialisme Bantou-Pygmée. ‘‘