Affaire Perenco : Que se cache-t-il derrière la suspension du Procureur de Port-Gentil au Gabon?

Partagez

L’explosion survenue le 20 mars 2024 sur le site Becuna au large de Port-Gentil, qui a occasionné la mort de cinq personnes, ainsi qu’un disparu et au moins six blessés, refait surface. Alors que l’opinion publique espérait voir les responsabilités établies et les coupables punis, les Gabonais ont plutôt appris via les réseaux sociaux la suspension du Procureur de la République à Port-Gentil, Monsieur Pierre Apérano Essongue. Cette suspension remonte au 17 mai dernier.

Il lui est reproché d’avoir fait preuve d’insubordination et de propos irrespectueux à l’endroit du Procureur Général près la Cour d’Appel de Port-Gentil en décidant de la garde à vue des responsables de Perenco cités dans l’affaire de l’explosion. On s’interroge tout de même sur la lourdeur de la sanction prononcée à son encontre.

En effet, la décision du procureur de la République, Pierre Aperano Essongue, de garder à vue les responsables de Perenco, faisait suite à l’exigence de la recherche de la vérité dans cette affaire grave et tragique qui a choqué la République et l’opinion publique.

De plus, les Gabonais se souviennent encore des images choquantes et déshumanisantes qui montraient les cercueils des victimes enterrées précipitamment, comme des animaux.

De surcroît, cette tentative d’inhumation avait été faite à l’insu des familles des victimes.

Il faut préciser qu’il est également reproché au procureur de la République près le tribunal de première instance de Port-Gentil d’avoir placé en garde à vue les responsables de Perenco alors que ces derniers disposent de garanties suffisantes de représentation.

Pourtant, cet argumentaire est très discutable dans la mesure où, en Équateur par exemple, Perenco a cessé ses activités dans le pays sans avoir préalablement versé les salaires de ses agents, c’est-à-dire plus de 25 millions de dollars (source: https://reporterre.net/En-Equateur-le-combat-des-ex-salaries-voles-par-le-petrolier-Perenco). Quatorze ans plus tard, ces anciens employés sont toujours livrés à eux-mêmes et demandent justice ; d’autres parmi eux sont décédés et les familles sont livrées à elles-mêmes.

Dès lors, est-il raisonnable d’avoir songé un seul instant à suspendre un collaborateur dont les agissements dans le cadre de ses fonctions consistent tout simplement à chercher à rétablir la vérité, dans une affaire où des Gabonais et non-Gabonais ont perdu la vie et où ils ont risqué une inhumation indigne ?

Les faits laissent plutôt penser que l’attitude vis-à-vis de Pierre Aperano Essongue aurait dû être différente. Cela d’autant plus que ce procureur a été vif et a manifesté le refus de se rendre complice d’une énième violation et négation de la dignité humaine. Sa célérité et sa rapidité d’exécution visaient à rechercher les causes véritables de l’explosion et à dégager la responsabilité pénale des uns et des autres. Il voulait surtout évaluer l’impact environnemental occasionné sur le site, ses environs et les survivants ; surtout que, dès le départ, il y a eu un manque de transparence et plusieurs non-dits.

Si l’on peut comprendre les récriminations de Madame le Procureur Général, laquelle estime que la garde à vue ne se justifie pas dans la mesure où les conclusions de l’enquête étaient parcellaires et qu’ils manquaient plusieurs éléments et qu’elle craignait l’impact de cette affaire sur la notoriété de la justice gabonaise et les répercussions sur le plan diplomatique. Il n’en demeure pas moins que la justice gabonaise est souvent pointée du doigt face à son inaction devant les pouvoirs forts, notamment les grands groupes et les multinationales comme Perenco.

De ce fait, ce que les Gabonais attendent de leur justice, c’est l’attitude du procureur Aperano, c’est-à-dire plus de fermeté à l’endroit de ceux qui prennent notre pays pour une jungle, un simple gâteau.

Des motivations non avouées pour faire taire le procureur Aperano ?

Il semblerait que des raisons plus graves auraient conduit à la suspension du jeune procureur. En effet, selon certaines sources dignes de foi, ce dernier aurait découvert que les incidents du 20 mars dernier ne seraient pas les seuls survenus au sein de la société. Les 7 et 8 mars 2024, avant l’explosion sur le site de Becuna, d’autres événements tout aussi graves se seraient produits, mais ils seraient méconnus du grand public car ils auraient tout simplement été dissimulés.

D’ailleurs, certaines personnes “bien placées” à Port-Gentil auraient reçu de la part de la société incriminée plus de 50 millions de francs CFA afin d’étouffer toute enquête pouvant établir la responsabilité pénale de certains dirigeants. Ainsi, certains membres de l’administration gabonaise seraient-ils redevables à Perenco et subiraient même des pressions de la part de la multinationale.

La vie du procureur Aperano est-elle menacée ?

Dans cette confusion généralisée et face à ces scénarios à répétition qui semblent faire de Port-Gentil un Far West où Perenco règne en maître et agit en toute impunité, on peut penser que le courage et la témérité du Procureur Aperano peuvent lui coûter très cher. D’ailleurs, selon une de nos sources bien introduites au sein du directoire de la société franco-britannique, certaines personnes auraient réclamé la tête de Monsieur le Procureur de la République.

Pourtant, ce fils de la nation a simplement voulu faire son travail et défendre l’humanité ; pas uniquement l’humanité de ses concitoyens gabonais mais aussi celle de tous les travailleurs de Perenco et de leurs familles. De plus, il a voulu protéger et défendre l’environnement et le cadre de vie du Gabon. Ne l’oublions pas, la société Perenco avait déjà été condamnée à des amendes liées à 27 cas de dommages ayant nui à la population, à la faune et à la flore locales pour ses activités en Colombie en 2022. Cet homme ne méritait donc pas une suspension, mais plutôt des encouragements.

Disons-le clairement, le Gabon a un besoin criant d’hommes déterminés et habités d’un réel idéal de justice, de souveraineté et de progrès. Le Gabon lui doit plutôt reconnaissance pour n’avoir pas cédé aux intimidations d’une multinationale toute puissante qui ne respecte pas l’environnement, maltraite ses travailleurs et compromet l’espérance des familles et de générations entières.

Que retenir et quelle posture pour le peuple gabonais ?

Dans cette heure sombre où la justice semble se plier devant les puissants, où les voix de ceux qui luttent pour la vérité et la dignité sont étouffées, nous ne pouvons plus rester silencieux. L’explosion du 20 mars 2024, qui a coûté la vie à plusieurs travailleurs, aurait dû être le point de départ d’une quête implacable de justice.

Le peuple gabonais ne peut plus tolérer ce genre de tragédie. Des êtres humains ne sauraient être enterrés comme des bêtes, les terres du Gabon souillées et la dignité du peuple bafouée par des multinationales avares de profit. Le peuple doit être debout et faire preuve de détermination, pour exiger que justice soit rendue, non seulement pour les victimes de cette explosion, mais pour toutes les injustices perpétrées au nom du profit au Gabon.

La soif de la dignité des gabonais ne saurait être étouffée par l’avidité des puissants.

Il faut se dresser comme un seul peuple, refusant d’être traités comme des pions dans un jeu de pouvoir et surtout exiger que nos dirigeants nous représentent et non les intérêts des multinationales et des puissances étrangères.

Ce pays a besoin de plus de personnes au courage, à la détermination et à la témérité du procureur Pierre Aperano Essongue dont la suspension a été levée grâce à l’interposition du ministre de la justice Paul Marie Gondjout.

Notre avenir, celui de nos enfants, dépend de notre capacité à nous lever et à dire : plus jamais ça.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Panier