Niger vs CEDEAO: pourquoi la guerre n'aura pas lieu?

Niger vs CEDEAO: pourquoi la guerre n’aura pas lieu?

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Niger vs CEDEAO : Pourquoi la guerre n’aura pas lieu ?

Le 26 juillet dernier, l’armée nigérienne a renversé le Président Mohamed Bazoum.

Les auteurs du coup d’État ont justifié leur acte par la dégradation du climat sécuritaire, entre autres.

La commission économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a immédiatement condamné le coup de force.

Cette dernière a même entamé des négociations avec l’armée, certes, mais a surtout brandi la menace d’une intervention militaire.

Pour l’organisation sous-régionale, seul un retour à l’ordre constitutionnel peut éviter le recours à la force.

Cependant, l’opinion s’interroge sur les réelles possibilités de réinstaller Mohamed Bazoum dans ses fonctions de Président.

Dans cet article intitulé “Niger vs CEDEAO : Pourquoi la guerre n’aura pas lieu ?”, nous allons expliquer les raisons qui rendent difficile voire impossible une intervention militaire de la CEDEAO au Niger.

D’abord, les raisons historiques et socio-culturelles.

Le Niger est avant tout un trait d’union au Sahel. Le pays abrite les populations Haoussas et Kanuri au Sud et au sud-ouest à la frontière avec le Nigeria.

Ces mêmes peuples vivent de l’autre côté de la frontière Nigériane.

Ils sont souvent soumis aux mêmes autorités religieuses. On peut citer le sultan de Sokoto Muhammadu Sa’ad Abubakar dont l’influence s’étend du Nigeria en pays Haoussa et Peul au Niger voisin. De même pour l’émir de Kano, seconde autorité religieuse plus puissante du Nigeria et dont l’influence s’étend au-delà des frontières. D’abord Senusi Lamido Senusi puis depuis 2020, Aminu Ado Bayero.

D’ailleurs, Abdourahamane Tchiani, actuel Président du Niger, lui-même appartient à l’ethnie des Kourfey, un groupe proche des Haoussas.

Par ailleurs, l’armée nigériane est composée de milliers de soldats Haoussas.

Ainsi, demander à ces derniers d’envahir le Niger serait comme demander à un individu de brûler sa mère patrie.

Il est donc difficile que la guerre ait lieu sur le front sud du Niger à la frontière avec le Nigeria.

Une guerre dans cette zone reviendrait à opposer des sœurs et frères d’une même famille et d’une même religion. Il est important de mentionner le facteur religieux. En effet, au Sahel, la religion est considérée comme un aspect très important de la vie pour environ 90 % de la population.

Une réalité diffuse.

Cette réalité concerne également les rapports entre le Bénin et le Niger qui partagent une frontière commune.

Certes, le 12 juillet 2005, la Cour Internationale de Justice rendait un arrêt. Il s’agissait d’un litige entre le Bénin et le Niger pour le contrôle de 25 îles. Malgré ce différend, les deux pays ont des liens étroits.

On retrouve par exemple les Peuls et les Zarma-Songhai aussi bien au Bénin qu’au Niger.

C’est pourquoi, chaque jour plusieurs d’entre eux traversent la frontière pour faire du commerce ou acheter des marchandises.

Encore plus surprenant, certaines de ces ethnies sont des parents à plaisanterie. C’est-à-dire qu’ils ont interdiction de s’affronter quelque soit le problème. C’est le cas des Kanuri et des Peuls. Cela rend donc l’hypothèse d’une guerre très difficile.

De ce fait, il n’est pas déraisonnable de penser que les sanctions économiques telles que la fermeture du port de Cotonou ne sauraient perdurer.

De l’influence réduite du Président nigérian Bola Tinubu.

Bola Tinubu n’est pas un président nigérian comme ses prédécesseurs. Tout d’abord, il n’est pas militaire comme Mohammadu Buhari ou encore Olusegun Obasanjo. Ensuite, il appartient au groupe des Yoruba présents au Nigeria et au Bénin. Cela dit, les Yoruba ne sont pas présents au Niger. Ce qui rend l’influence de Tinubu dans la crise nigérienne très limitée.

Dès lors, il aura du mal à convaincre des Haoussa, Kanuri ou Peul, d’en combattre d’autres de l’autre côté de la frontière.

Enfin, Bola Tinubu doit son accession à la tête du Nigeria à sa longévité en politique, ses services rendus et sa loyauté envers d’anciens dignitaires. Il est le filleul de Shehu Yar’Adua, fils de Musa Yar’Adua. Les Yar’Adua sont une famille Peul et musulmane, l’une des plus importantes dynasties du Nord Nigeria. L’un d’eux, Umaru Yar’Adua, a été Président du Nigeria entre 2007 et 2010. Tinubu est certes respecté, mais il n’a ni le charisme d’Olusegun Obasanjo, encore moins la vigueur de Goodluck Jonathan ou l’autorité de Buhari sur l’armée.

Son nouveau poste est une sorte de retour d’ascenseur ; une récompense pour ses bons et loyaux services.

De l’absence d’unanimité de Mohamed Bazoum.

Avant son élection à la tête du Niger en 2021, Mohamed Bazoum était déjà contesté. Une partie de l’opinion remettait en cause l’authenticité de sa nationalité nigérienne. Ceci, parce que Bazoum appartient au groupe des Oulad Souleymane, originaire de Libye. Il ne représente que 1 % de la population.

Or, au terme de l’élection, le candidat malheureux Mahamane Ousmane avait contesté l’élection de Bazoum et revendiqué la victoire. Dans un pays où l’ethnie et la religion régissent la vie des citoyens, ces deux facteurs sont déterminants. Ils peuvent justifier l’absence de contestation populaire lors de la chute de Mohamed Bazoum. Même s’il ne faut pas oublier qu’une partie de l’opinion lui reprochait son inféodation à l’establishment français.

Niger vs CEDEAO : Pourquoi la guerre n’aura pas lieu ? Les raisons géopolitiques et militaires.

Le Sahel est un carrefour par lequel transitent plusieurs migrants. Ces derniers en provenance du Cameroun, de la Guinée, du Mali, du Niger ou du Nigeria entre autres passent par Agadez. Agadez étant l’étape cruciale avant d’atteindre la Libye. Ces derniers souhaitent aller en Europe pour des conditions de vie meilleures.

En cas de guerre au Niger, ce sont des milliers de personnes qui choisiraient de migrer vers l’Europe via la Libye.

Or, l’Europe essaie de juguler le phénomène des flux migratoires incontrôlés. De ce fait, pour éviter une telle hypothèse, l’option diplomatique semblerait la seule envisageable.

Niger vs CEDEAO : Pourquoi la guerre n’aura pas lieu ?

La peur des arsenaux incontrôlés.

La guerre en Libye a généré une diffusion incontrôlée des armes de toutes sortes.

La sécurité et la stabilité de la sous-région ont été mises à l’épreuve. De ce fait, les États voisins tels que la Mauritanie et l’Algérie ne souhaitent pas subir les conséquences d’une intervention militaire dans la région. Ils ont manifesté un refus catégorique à l’idée d’une intervention. Une opposition qui affaiblit et stoppe l’élan de la CEDEAO.

Le rejet de la France au Sahel.

Au sein de l’opinion publique sahélienne, l’establishment français n’est pas bien perçu.

Au Sahel, l’on se souvient encore du rôle de la France durant la colonisation.

Depuis le XIXe siècle, la France a participé au dérèglement du système d’organisation de la société sahélienne. Mettant sur pied des méthodes de travail agricole inadaptées au contexte africain.

La France a choisi d’exploiter les terres, les ressources naturelles disponibles et la main-d’œuvre locale.

Pire, elle a volontairement choisi d’affaiblir les lieux de culte, les centres de pouvoir. Les élites politiques, militaires, traditionnelles ont été complètement délégitimées, leur pouvoir vidé de sa substance. De ce fait, une intervention militaire demeure illégitime si l’ombre de la France plane au-dessus.

La France, la communauté internationale et le paradoxe du Tchad.

À la mort du maréchal Idriss Deby Itno du Tchad le 20 avril 2021, la constitution tchadienne en son article 81 prévoyait un dispositif de transition qui déléguait le pouvoir au Président de l’Assemblée Nationale.

Pourtant, c’est le fils de l’ancien Président, Mahamat Déby, qui a pris les pouvoir à la tête d’un conseil militaire de transition. Surprenant a été le silence de la France qui n’a pas condamné le changement constitutionnel. Mieux, elle a adoubé le nouvel homme fort de N’djamena.

Deux ans plus tard, l’opinion publique africaine a du mal à comprendre ce deux poids deux mesures à l’encontre des militaires nigériens. Résultat, l’ancienne puissance coloniale a perdu toute crédibilité. Ses prises de position suscitent davantage de doute et de méfiance.

Le double jeu du Nigeria ?

Depuis le coup d’État au Niger, le Nigeria semble être le pays le plus déterminé à rétablir l’ordre constitutionnel.

Cependant, ce zèle apparent a d’énormes limites. L’armée nigériane aurait de grandes difficultés à se mettre sous une coalition pilotée par la France ou tout autre pays.

D’abord parce que ce pays, le plus peuplé d’Afrique, est très jaloux de sa liberté et de son indépendance.

Ensuite, il aurait beaucoup de mal à se mettre sous tutelle d’une puissance étrangère dans la sous-région.

Mieux, le Nigeria n’a jamais oublié le rôle que les Français ont joué durant la guerre du Biafra. Le pays de Charles de Gaulle soutenait les sécessionnistes.

Par conséquent, les déclarations incendiaires du Président Bola Tinubu contre les militaires jusqu’ici semblent être de simples intimidations. Les sanctions imposées pourraient être levées rapidement à la suite de négocaitions.

Il ne serait pas surprenant de constater au final que le Nigeria a donné de faux espoirs à la France et aux partenaires occidentaux. En réalité, le coup d’État au Niger n’a pas de conséquences directes sur la sécurité et la stabilité du Nigéria. Par conséquent, l’urgence pour l’armée nigériane d’intervenir au Niger ne se justifie pas.

In fine, pour mieux comprendre la profondeur des liens entre le Niger et le Nigeria, il faut tenir compte de l’aspect humanitaire. Depuis que Boko Haram endeuille la région, plusieurs milliers de Nigérians ont trouvé refuge au Niger voisin.

Le pays accueille plus de 300 000 réfugiés. Une solidarité entre les deux pays qui aurait du mal à remettre en cause ce changement de pouvoir sans effusion de sang.

https://www.unhcr.org/fr/actualites/articles-et-reportages/au-niger-cohabitation-fructueuse-entre-refugies-et-communautes

La présence russe et Wagner.

Une intervention de la CEDEAO au Niger aurait été plus simple. Or, le Niger a pour alliés deux pays de la CEDEAO, le Mali et le Burkina Faso, proches de Moscou. Les récents contacts entre les militaires nigériens et les paramilitaires de Wagner en sont l’illustration.

Un rapprochement qui rendrait difficile d’une part toute résolution contre le Niger au sein du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. D’autre part, le Niger, fort du soutien malien et burkinabè, pourrait bénéficier de puissants arsenaux et d’un soutien des paramilitaires russes.

Niger vs CEDEAO : pourquoi la guerre n’aura pas lieu ? Du point de vue militaire opérationnel.

Les États de la sous-région ne disposent pas de gros moyens pour faire la guerre au Niger.

Surtout, si cette dernière devait prendre des allures d’une guerre d’usure. La réalité est que chaque État a bien conscience que mener une guerre sur deux fronts, c’est-à-dire contre le terrorisme dans la région et le Niger, pourrait avoir des conséquences incalculables.

Par ailleurs, du point de vue opérationnel, il va falloir trouver la formule magique pour le transport des arsenaux et des troupes au sol ainsi que la maintenance du matériel de guerre.

Que reste-t-il comme option à la CEDEAO, à la France, à l’Union Européenne et aux États-Unis au Niger ?

La première option pour pousser les militaires à remettre Bazoum au pouvoir serait de trouver des dissidents nigériens internes pour mener une rébellion armée contre le nouveau pouvoir.

À cela pourrait s’ajouter un appui aérien de la part des puissances susmentionnées pour affaiblir les points stratégiques contrôlés par l’armée nigérienne. Toutefois, ces derniers risqueraient de se heurter à la désapprobation de la grande majorité du peuple nigérien. Lequel peuple semble jusqu’ici soutenir la grande muette.

La deuxième consiste à négocier avec les nouvelles autorités de transition. Si cette alternative peut faciliter le retour des civils au pouvoir, il serait très difficile que le Président déchu en soit un des bénéficiaires. Autrement dit, qu’il soit rétabli dans ses fonctions.

En conclusion, ce qui se joue actuellement au Sahel est le sort de l’Afrique, de la Russie et du monde occidental; du moins pour les 50 prochaines années. Les enjeux sont multiples.

En premier lieu, la reconfiguration de la géopolitique de la région.

Depuis l’avènement des militaires au Mali puis au Burkina-Faso, les peuples du Sahel pensent qu’un ‘’nouvel ordre mondial avec une Afrique protagoniste peut voir le jour.

Deuxièmement, il s’agit de la restauration de la dignité des peuples africains du Sahel. Ces derniers entendent refaire le retard accusé depuis la colonisation et devenir maîtres de leur destin.

En outre, on ne peut non plus éluder la revanche de la Russie sur les pays européens qui lui font la guerre en Ukraine. Le pays de Vladimir Poutine entend punir la France et l’Europe au Sahel pour leur implication aux côtés de Kiev. Elle veut aussi maintenir son statut de grand.

Par ailleurs, il va sans dire que celui qui contrôlera le Sahel disposera d’un réservoir inépuisable de ressources naturelles, notamment l’or, l’uranium et le gaz, entre autres.

Le Sahel, c’est aussi et surtout un choc de civilisations avec en toile de fond la question des flux migratoires vers l’Europe. La Russie orthodoxe contre l’Europe chrétienne catholique.

https://fr.africanews.com/2023/04/12/niger-la-region-dagadez-debordee-par-les-migrations//

À ce titre, l’ancien ministre italien de l’intérieur Marco Minniti a récemment affirmé qu’aux yeux de l’Europe, le Sahel revêt la même importance que l’Ukraine. C’est dire le caractère stratégique de cet espace géographique.

Enfin, une question jusqu’ici ignorée demeure tout de même. Le Sahel est une zone majoritairement musulmane. Là, les organisations caritatives sunnites y ont pignon sur rue depuis les indépendances. De même que l’influence des pays tels que l’Arabie Saoudite est très importante. D’où le questionnement suivant : quelle sera la posture de ces pays dans cette lutte pour le contrôle du Niger ?


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